Existe t-il une atteinte à l’ordre public à la reconnaissance d’une vocation successorale aux deux épouses?
Dans le premier cas, les juges nous indiquent de retenir une conception atténuée de l’ordre public4 . En ce sens, la France ne pourrait écarter l’une des épouses de la vocation successorale, puisqu’elle se doit de reconnaître une situation qui a été formée à l’étranger sans fraude en application d’une loi étrangère.
Ainsi, le notaire ne pourrait soulever d’exception d’ordre public.
Dans le second cas, les deux unions prises séparément sont valables. Cela étant, la Cour de cassation5 nous indique que le second mariage ne saurait développer des conséquences au préjudice de l‘épouse française, au titre de l’ordre public de proximité.
Ainsi, la France ne pourrait reconnaître de vocation successorale qu’à la première épouse de nationalité française.
- 3ème situation : La loi étrangère applicable à la succession contient une disposition discriminatoire
Une loi étrangère peut contenir une disposition discriminatoire impliquant qu’un ayant-droit hérite plus qu’un autre. Il peut s’agir d’un privilège d’ainesse ou de masculinité.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit qu‘“est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou tout autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.“
Il y a lieu de considérer qu‘une différence de traitement fondée sur un critère discriminatoire impose de s’interroger sur l‘atteinte à l’ordre public. Le point n’est pas encore tranché en jurisprudence mais la proximité et l’importance patrimoniale de l’enjeu seront des éléments d’analyse à retenir.
Le notaire peut-il ou doit-il soulever l’atteinte à l’ordre public ?
Une fois l’atteinte à l’ordre public définie, reste la question de savoir si le notaire, en tant qu’officier public et praticien, peut déroger à l’application de la loi étrangère.
L’on pourrait être tenté de considérer que cette exception s’impose à lui, en raison de son caractère impératif, au même titre qu’elle s’impose à un juge. A cet égard, le Règlement Succession désigne tant « les juridictions », que les « autorités compétentes chargées du règlement des successions », pour la mise en oeuvre de l’exception d’ordre public (considérant n° 58).
Pour autant, une partie de la doctrine se positionne en faveur d’une mise en oeuvre exclusivement judiciaire de l’exception d’ordre public.
Ainsi, nous tenterons d’apporter des pistes de réflexion à l’épineuse question : le notaire doit-il ou peut-il ?
Force est de constater, dans la pratique, l’intérêt pour le notaire d’aviser les héritiers de la faculté de soulever l’ordre public.
Ainsi, trois hypothèses peuvent se recontrer :
- Tous les héritiers sont d’accord pour soulever l’exception d’ordre public.
Le cas échéant, le notaire serait parfaitement fondé à instrumenter conformément à leur souhait. - Tous les héritiers ne sont pas d’accord. Le conflit devrait alors être tranché devant le juge.
- Tous les héritiers souhaitent renoncer à la protection de l’ordre public.
Ce cas de figure est le plus complexe. Il y a lieu de penser que le notaire devrait renoncer à instrumenter, s’agissant d’un acte contraire à la loi, en revanche, cette contrariété ne pourrait être réellement constatée que par un juge.