– Le notaire est amené à prêter son concours à des successions en application de lois étrangères dont le contenu n’est pas transposable dans la société française.
– Le Règlement européen n°650/2012 propose un correctif par le biais de l’ordre public. Ainsi, chaque fois que l’application de la loi étrangère porterait atteinte aux grands principes jugés essentiels d’un Etat, la loi étrangère désignée par le Règlement pourrait être écartée.
– Il convient de déceler les cas de contrariété à l’ordre public international français, au regard des situations suivantes :
– La loi applicable ne reconnaît par la réserve héréditaire ;
– La loi applicable contient une disposition discriminatoire ;
– La loi applicable reconnaît une vocation successorale aux épouses d’un défunt.
– Une fois l’atteinte à l’ordre public définie, reste la question de savoir si le notaire, en tant qu’officier public et praticien, peut déroger à l’application de la loi étrangère.
– Force est de constater, dans la pratique, l’intérêt pour le notaire d’aviser les héritiers de la faculté de soulever l’exception d’ordre public.
L’importance des dévolutions successorales transfrontières et la divergence des systèmes juridiques dans ce domaine ont justifié la recherche d’une harmonisation. C’est en ce sens que le conseil de l’Union Européenne et le parlement de l’Union Européenne ont adopté le Règlement n°650/20121 , applicable aux successions ouvertes à compter du 17 août 2015.
Les successions ouvertes depuis cette date sont en principe réglées en application d’une loi unique, même étrangère.
Cette apparente simplicité du critère de rattachement unitaire cache de sensibles difficultés liées aux nombreux particularismes locaux. En effet, le notaire français est ainsi amené à prêter son concours à des successions en application de lois étrangères dont le contenu n’est pas transposable dans la société française.
Le Règlement n°650/2012 propose un correctif par le biais de l’ordre public. Ainsi, chaque fois que l’application de la loi étrangère porterait atteinte aux grands principes jugés essentiels d’un Etat, la loi étrangère désignée par le Règlement pourrait être écartée.
Il y a à penser que cette exception d’ordre public international sera de moins en moins soulevée à l’aune de la communauté de civilisation des pays occidentaux, puisqu‘on retrouve une vocation universelle à la protection des Droits de l’Homme. Des divergenses de conceptions demeurent néanmoins, dans les pays de Common law, et surtout dans certains pays orientaux, dont la loi est issue des prescriptions du Coran.
En ce sens deux questions méritent d’être exposées:
– Dans quels cas le notaire peut-il déceler une atteinte à l’ordre public dans le règlement d’une succession?
– Le notaire peut-il ou doit-il soulever l’exception d’ordre public ?
Les critères permettant de définir la notion d’ordre public ne sont pas clairement définis. Au sens de la Cour de cassation, l‘ordre public doit protéger les principes essentiels de nos sociétés. Ainsi, l’ordre public est mouvant, et chaque Etat en a sa propre appréciation.
Partant, nos propos seront orientés autour de cas majoritairement rencontrés en pratique en droit international privé.
1ère situation : La loi étrangère applicable à la succession ne connait pas la réserve héréditaire
La loi française garantit aux enfants du défunt une réserve, c’est-à-dire une quote-part définie de la succession qui leur sera dévolue.
Cette quote-part évolue en fonction du nombre d’enfants laissés par le défunt. En droit français, la réserve est d’ordre public.
La loi étrangère peut ignorer totalement la réserve héréditaire, ou la consacrer mais dans des quotités moindres que celles garanties en France. La Cour de cassation est venue récemment trancher le débat3 de l’atteinte éventuelle à l’ordre public international. Il en résulte que la réserve héréditaire n’est pas un principe essentiel, qui doit faire l’objet d’une protection à l’international : une loi étrangère qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l‘ordre public international français et ne saurait être écartée que si son application concrète conduit les parties dans une situation de précarité économique ou de besoin .
En ce sens, le notaire qui applique une loi étrangère qui ne connait pas la réserve héréditaire, ne pourrait
– sauf délicate appréciation in concreto – y substituer la loi française
2ème situation : Une loi étrangère qui reconnait une vocation successorale aux différentes épouses du défunt
Au préalable, il convient de s’assurer que les unions sont parfaitement valables tant au regard de la loi nationale des intéressés, que de la loi du lieu de célébration du mariage. Partant, une fois que la validité des unions est reconnue, il convient de distinguer deux situations :
Les unions ont été régulièrement conclues à l’étranger conformément à la loi nationale de tous les intéressés ;
La première union a été célébrée à l’étranger avec une française, dont la loi nationale prohibe la polygamie. Le mari dont la loi nationale reconnaît la polygamie a ensuite contracté une seconde union avec une personne dont la loi nationale reconnaît également ce type d’union.
Existe t-il une atteinte à l’ordre public à la reconnaissance d’une vocation successorale aux deux épouses?
Dans le premier cas, les juges nous indiquent de retenir une conception atténuée de l’ordre public4 . En ce sens, la France ne pourrait écarter l’une des épouses de la vocation successorale, puisqu’elle se doit de reconnaître une situation qui a été formée à l’étranger sans fraude en application d’une loi étrangère.
Ainsi, le notaire ne pourrait soulever d’exception d’ordre public.
Dans le second cas, les deux unions prises séparément sont valables. Cela étant, la Cour de cassation5 nous indique que le second mariage ne saurait développer des conséquences au préjudice de l‘épouse française, au titre de l’ordre public de proximité.
Ainsi, la France ne pourrait reconnaître de vocation successorale qu’à la première épouse de nationalité française.
3ème situation : La loi étrangère applicable à la succession contient une disposition discriminatoire
Une loi étrangère peut contenir une disposition discriminatoire impliquant qu’un ayant-droit hérite plus qu’un autre. Il peut s’agir d’un privilège d’ainesse ou de masculinité.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit qu‘“est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou tout autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.“
Il y a lieu de considérer qu‘une différence de traitement fondée sur un critère discriminatoire impose de s’interroger sur l‘atteinte à l’ordre public. Le point n’est pas encore tranché en jurisprudence mais la proximité et l’importance patrimoniale de l’enjeu seront des éléments d’analyse à retenir.
Une fois l’atteinte à l’ordre public définie, reste la question de savoir si le notaire, en tant qu’officier public et praticien, peut déroger à l’application de la loi étrangère.
L’on pourrait être tenté de considérer que cette exception s’impose à lui, en raison de son caractère impératif, au même titre qu’elle s’impose à un juge. A cet égard, le Règlement Succession désigne tant « les juridictions », que les « autorités compétentes chargées du règlement des successions », pour la mise en oeuvre de l’exception d’ordre public (considérant n° 58).
Pour autant, une partie de la doctrine se positionne en faveur d’une mise en oeuvre exclusivement judiciaire de l’exception d’ordre public.
Ainsi, nous tenterons d’apporter des pistes de réflexion à l’épineuse question : le notaire doit-il ou peut-il ?
Force est de constater, dans la pratique, l’intérêt pour le notaire d’aviser les héritiers de la faculté de soulever l’ordre public.
Ainsi, trois hypothèses peuvent se recontrer :
Tous les héritiers sont d’accord pour soulever l’exception d’ordre public.
Le cas échéant, le notaire serait parfaitement fondé à instrumenter conformément à leur souhait.
Tous les héritiers ne sont pas d’accord. Le conflit devrait alors être tranché devant le juge.
Tous les héritiers souhaitent renoncer à la protection de l’ordre public.
Ce cas de figure est le plus complexe. Il y a lieu de penser que le notaire devrait renoncer à instrumenter, s’agissant d’un acte contraire à la loi, en revanche, cette contrariété ne pourrait être réellement constatée que par un juge.
19/06/2018 Victoire Charavay