Quel devenir du prix de vente d'un bien détenu en démembrement ?

  • Le prix de vente d’un bien dont la propriété est démembrée peut être réparti entre usufruitier et nu-propriétaire. La répartition peut être faite soit selon le barème fiscal de l’article 669 du CGI, soit selon le calcul de l’usufruit économique.

  • Le démembrement peut sinon être reporté :

    • Sur le prix de vente conservé par l’usufruitier par la mise en place d’un quasi usufruit. Le quasi-usufruitier pourra utiliser à sa convenance les fonds et sera tenu d’une obligation de restitution.

    • Sur un autre bien (un portefeuille de valeurs mobilières, des parts de société…).

Lors de la vente d’un bien dont la propriété est démembrée, le schéma envisagé par usufruitier et nu-propriétaire est bien souvent la répartition du prix à proportion de leurs droits respectifs : une répartition en pleine propriété, chacun pouvant ensuite faire ce qu’il lui plaira de sa quote-part.

Ce schéma, qui découle du début des dispositions de l’article 621 du Code civil « (…) le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits », réduit trop le champ des possibles du sort du prix de vente.

La suite de l’article 621 : « (...) sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix » ouvre la porte et valide des alternatives, notamment la mise en place d’un quasi-usufruit ou le report du démembrement sur un autre bien, qu’il soit mobilier ou immobilier. Quoiqu’ayant moins le vent en poupe depuis la loi de finances pour 2024, le mécanisme du quasi-usufruit peut s’avérer avantageux et mérite a minima d’être envisagé si le nu-propriétaire n’a pas un besoin immédiat de liquidités.

I.              Mise en place d’un quasi-usufruit

Le quasi-usufruit a vocation à être mis en place sur des biens totalement consommés par une unique utilisation, tel est le cas d’une somme d’argent.

Un quasi-usufruit mis en place sur une somme d’argent permet au quasi-usufruitier d’appréhender la somme dans sa totalité et d’en avoir la libre disposition, sans consultation aucune du nu-propriétaire quant à l’utilisation qu’il en fera ; comme un plein propriétaire donc.

Bien qu’innommé par le législateur dans le Code civil, le quasi-usufruit n’est pas une technique nouvelle : il existait déjà en 1804 afin de permettre au conjoint survivant d’utiliser les biens successoraux de nature consomptibles sans être tenu d’en conserver la substance.

Le quasi-usufruit est soit légal, créé de fait compte tenu de la nature du bien, soit conventionnel, le quasi-usufruit pouvant être mis en place sur tout type de bien consomptible.

Le fonctionnement du quasi-usufruit suscite régulièrement une interrogation principale : comment est-il permis à l’usufruitier de se comporter avec autant de droits tandis qu’un démembrement est bel et bien en place ?

Cette possibilité s’explique par l’obligation de conservation de la substance du bien à laquelle est tenue même un « simple » usufruitier. Lors de la mise en place d’un quasi-usufruit, cette obligation de conservation, parfois impossible en pratique, se traduit en une obligation de restitution. Le quasi-usufruitier pourra librement appréhender et disposer des biens mais est débiteur d’une dette de restitution qui grèvera sa succession.

A défaut de restitution, le dénouement d’un quasi-usufruit est ainsi relativement simple : ce passif viendra réduire d’autant l’actif successoral taxable dans la succession de l’usufruitier.

On voit aisément l’intérêt de sa mise en place et l’appétence qui s’est vue en pratique.

Sur ce point, une précision consécutive à la loi de finances pour 2024 : le nouvel article 774 bis du Code général des impôts prive d’efficacité les quasi-usufruits mis en place sur des sommes d’argent mais, à ce jour, seulement lorsque sa mise en place résulte d’une donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit.

Dans les autres cas de figure, tels la vente d’un bien immobilier ou un usufruit successoral au profit du conjoint survivant, le mécanisme du quasi-usufruit reste efficace à la condition sine qua none de ne pas avoir été motivé dans un but principalement fiscal[1].

Un point d’attention toujours en matière fiscale : quand bien même l’usufruitier serait le seul à appréhender, via un quasi-usufruit, le prix de vente d’un bien immobilier, l’impôt sur la plus-value immobilière sera dû par chacun de l’usufruitier et du nu-propriétaire sur sa quote-part du prix de vente[2].

II.             Report du démembrement

Outre le schéma du quasi-usufruit, usufruitier et nu-propriétaire pourront décider de reporter le démembrement sur un autre bien meuble ou immeuble.

Souvent le report est effectué sur un portefeuille de valeurs mobilières :

- soit à titre définitif pour éventuellement générer un meilleur rendement ou à tout le moins une gestion simplifiée face à celle d’un immeuble,

- soit à titre temporaire, à défaut d’avoir d’ores et déjà trouvé au moment de la vente le bien immobilier sur lequel effectuer le report du démembrement, en ouvrant un compte démembré pour y déposer le prix de vente le temps de la recherche.

Citons également une modalité de report de démembrement pouvant s’avérer opportune : usufruitier et nu-propriétaire réinvestissent le prix de vente démembré dans une société civile, via un apport en capital ou en compte courant d’associé.

La société achète ensuite un bien immobilier.

La rédaction des statuts pourra permettre à l’usufruitier, désigné comme gérant, d’occuper le bien au travers d’une mise à disposition, d’en percevoir les revenus éventuels et d’être seul décisionnaire de son sort. Sa situation se rapprochera ainsi fortement de celle d’un quasi-usufruitier.

De son côté, le nu-propriétaire récupèrera la pleine propriété des parts à l’extinction de l’usufruit, sans frottement fiscal.

Cet « ameublissement » du bien immobilier pourra simplifier sa gestion au travers de statuts encadrant les rapports et pouvoirs de chacun. Aussi, la société pourra être emprunte d’un fort caractère familial avec des clauses d’agrément qui impliqueront l’accord de tous pour qu’un tiers puisse y entrer.

La société pourra aussi réinvestir dans des entreprises, cotées ou non-cotées, et ainsi devenir une société d’investissement familiale avec une large autonomie de gestion en faveur du gérant usufruitier mais un transfert automatique de la plus-value aux nus-propriétaires.

III.           Répartition du prix de vente

Les hypothèses lors desquelles les nus-propriétaires souhaiteront appréhender immédiatement en pleine propriété une partie du prix de vente en vue de son réinvestissement dans un projet annexe n’étant pour autant pas à la marge, le traitement de cette répartition n’est pas à délaisser.

Si usufruitier et nu-propriétaire optent pour ce schéma, il sera important de leur présenter les différentes modalités de ventilation du prix de vente entre eux.

La pratique s’est longtemps cantonnée à une ventilation à l’aide du barème fiscal de l’article 669 du Code général des impôts.

De nombreux travaux, notamment impulsés par le Doyen Jean Aulagnier, ont néanmoins illustré qu’une ventilation économique, fondée sur la prise en compte du rendement du bien et des charges qu’il implique, devait être favorisée, ou à tout le moins proposée, en comparaison au barème fiscal. D’autant plus que ce barème, bien qu’actualisé en 2004, est relativement désuet et quelque peu contestable[3].

L’administration fiscale ne reprochant pas aux contribuables de choisir la ventilation économique plutôt que fiscale, il est important de simuler ces deux ventilations et les laisser choisir librement entre elles.

Chacun devra toutefois intégrer dans son choix de schéma, que par comparaison aux précédentes modalités, la répartition du prix de vente entre usufruitier et nu-propriétaire mettra fin au démembrement et les sommes recueillies par l’usufruitier seront désormais détenues en pleine propriété et feront donc partie de l’actif taxable de sa succession.



[1] Pour plus de détails quant à l’appréhension du quasi-usufruit avec ce nouvel article : chronique GEFIP dans Gestion de Fortune, n°354, février 2024, Guillaume Donizel, Véronique Drilhon-Jourdain et Victoire Charavay.

[2] En effet s’il est possible de faire supporter le montant de l’impôt sur la plus-value sur l’usufruitier en cas de mise en place d’un quasi-usufruit après une cession de valeurs mobilières par une convention enregistrée, cette option n’est pas véritablement ouverte lors de la vente d’un bien immobilier, l’administration fiscale ne s’étant pas positionnée sur ce point contrairement à la vente de valeurs mobilières.

[3] Notamment pour une illustration relativement récente : Solution Notaires n°26, 20 juillet 2023, Valeur des droits démembrés, J. Aulagnier.

                                                                                                                                                                                                            

24/07/2024 Pauline-Alexia Palombo 

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