Le cahier des charges d’un lotissement étant considéré comme un document contractuel, son inexécution devrait connaître la prescription quinquennale. Cependant, la Cour de cassation a confirmé le 6 avril 2022 que la demande de destruction d’une construction réalisée en violation d’un cahier des charges relève d’une action réelle dont la prescription reste trentenaire.
Le délai de prescription de l’action contre la violation d’un cahier des charges était jusqu’à présent de 30 ans.
On sait que la Cour de cassation considère que le cahier des charges d’un lotissement, même approuvé, est un document contractuel, en ce compris ses dispositions réglementaires recopiant parfois mot pour mot les dispositions d’urbanisme réglementaires autorisant le lotissement.
La décision de la Cour de cassation en du 6 avril 2022 (Cass. civ. 3, du 6 avril 2022 – p. 21-13.891, Publié au bulletin) mérite notre attention. Pour la première fois en effet la Cour de cassation tranche le litige au regard de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription.
La décision, très didactique, retient la prescription trentenaire.
Elle fonde sa décision sur la distinction suivante :
La responsabilité contractuelle s’applique en principe. Ainsi les dispositions de l’article 1222 du Code civil relative à l’exécution forcée en nature des obligations contractuelles doivent être utilisées : « le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci ».
La prescription est alors de cinq ans en application de l’article 2224 : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Le débat pouvait paraître clos puisqu’aux termes de cet article 2224 la sanction de la violation d’un contrat peut conduire à la démolition de la construction irrégulièrement au regard dudit contrat.
En l’espèce les constructions ayant été édifiées depuis plus de cinq ans, la démolition ne pouvait être prononcée.
La Cour de cassation applique également les règles du droit des biens lorsque l’édification d’une construction est faite en violation d’un cahier des charges. Elle considère alors que cette action est une action réelle.
Logiquement la Cour fait application des dispositions de l’article 2227 réservées aux actions réelles dont la prescription est trentenaire : « Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
La décision de la Cour de cassation est parfaitement fondée en droit positif.
En effet, le cahier des charges a une double facette :
la première est de naturelle contractuelle ;
la seconde est indéniablement réelle ; elle relève du droit des biens. Les obligations qui résultent d’un cahier des charges ne relèvent pas toutes des obligations personnelles, contractuelles. Elles sont alors des charges réelles, des charges de fonds à fonds ce que la locution « Cahier des charges » traduit bien. En matière de servitudes cette même distinction a lieu. Cependant les obligations personnelles étant normalement interdites à titre principal et possibles qu’à titre subsidiaire, la mise en œuvre de cette distinction est peu fréquente.
Cette distinction n’est pas nouvelle puisqu’elle résulte déjà d’un arrêt de principe de la Cour de cassation en date du 29 mars 1933 :
« (…) dans les actes de vente obtenu entre les Consorts de Franqueville, d’une part, et les dames Reiffemberg et Baconnier, d’autre part, il n’a été stipulé au profit d’unest fonds voisin aucune servitude réelle ; si parmi les charges imposées à la dame Baconnier par les vendeurs figure l’interdiction « au besoin à titre personnel » de ne jamais édifier sur son terrain un immeuble qui ne fut pas à destination d’habitation bourgeoise, cette obligation, à défaut d’être expressément instituée pour l’usage ou l’utilité des voisins, ne saurait conférer à leur propriétaire aucun droit réel et ne constitue qu’en engagement personnel pris envers les vendeurs et que ceux-ci avaient seuls qualité pour faire ».
Cette opposition n’est toutefois pas souhaitable, car source de complications. Ainsi dans notre affaire, le coloti ne peut obtenir, en vertu d’une action personnelle, la démolition d’une construction édifiée en violation du cahier des charges que s’il introduit son action dans le délai de cinq ans ; pour obtenir la démolition après ce délai, il doit exercer l’action réelle.
La solution, reposant sur la distinction action personnelle / action réelle apparaît harmonieuse en droit.
Elle est en fait quelque peu factice ainsi que nous l’a démontré le droit de la copropriété.
Imaginons en effet qu’un copropriétaire mure un bout de palier, partie commune, pour agrandir son appartement. Sur la base de l’action personnelle, son voisin peut obtenir la démolition dans un délai de cinq ans (article 42 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le « statut de la copropriété des immeubles bâtis » dans sa rédaction issue de la loi ELAN du 23 novembre 2018 qui réduit le délai de prescription de dix ans à cinq ans. Toutefois à la sixième année, normalement prescrite, son voisin peut se prévaloir de l’action réelle jusqu’à trente ans. La seule différence est qu’en agissant dans le délai de cinq ans son voisin peut être indemnisé de ses préjudices alors qu’il ne le sera pas s’il agit dans le délai de trente ans mais sa véritable indemnisation n’est-elle pas la démolition de l’ouvrage.
La seule solution serait d’aligner les délais de prescription. Hélas cet alignement n’est pas apparu possible aux rédacteurs de la réforme sur la prescription, tant la prescription trentenaire pour les actions réelles immobilières apparaît être viscéralement attachée au droit de propriété.
25/04/2022 Michel Thomas