Organiser les relations patrimoniales des époux dans un contexte international : quelle loi applicable au régime matrimonial ?

Le Règlement de l’Union européenne 2016/1103 du 24 juin 2016 ne détermine la loi applicable au régime matrimonial que des époux mariés à compter du 29 janvier 2019, ou ceux ayant souhaité désigner ou changer de loi applicable à leur régime matrimonial depuis cette date.

Lorsqu’il s’agit de déterminer la loi applicable au régime matrimonial trois corps de règles juridiques coexistent donc selon la date à laquelle les époux se sont unis :

  • les époux mariés avant le 1er septembre 1992 sont soumis au droit international privé français antérieur d’origine jurisprudentielle ;
  • ceux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019 sont régis par les dispositions de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 ;
  • ceux mariés, désignant ou changeant de loi applicable à leur régime matrimonial à partir du 29 janvier 2019 sont concernés par le Règlement UE 2016/1103 du 24 juin 2016.

L’option pour l’utilisation des dispositions du Règlement de l’Union européenne 2016/1103 par des époux mariés avant le 29 janvier 2019 peut s’avérer utile en présence d’éléments d’extranéité : aux époux mariés antérieurement au 1er janvier 1992, afin de lever toute incertitude quant à la loi applicable à leur régime matrimonial, ou aux époux mariés sous l’empire de la Convention de la Haye du 14 mars 1978, pour contrer l’instabilité juridique créée par cette dernière.

Dans un contexte international, beaucoup d’époux ou de futurs époux s’interrogent sur le régime matrimonial qui gouverne leurs relations patrimoniales, ou qui les gouvernera une fois mariés.

En l’absence de désignation de loi applicable, les règles de droit international privé relatives à la détermination du régime matrimonial des couples mariés s’avèrent complexes, et nécessitent une rigueur particulière.

  • Pourquoi les époux ont-ils intérêt à faire une désignation de loi applicable à leur régime matrimonial dans un contexte international ?
  • Cette désignation de loi applicable est-elle possible avant comme pendant l’union ?
  • Comment doit-elle se manifester ?

Situation 1 :  Désigner la loi applicable à son régime matrimonial avant le mariage : être maître des conséquences d’une expatriation

Louise, de nationalité française, et Martin, de nationalité autrichienne, se sont rencontrés à Barcelone au cours d’un échange Erasmus en janvier 2020.

 

Ils vivent actuellement en France, où ils souhaitent se marier en août 2022. Ils désirent s’installer, immédiatement après la célébration du mariage, en Allemagne.

 

Ils viennent nous consulter pour être conseillés sur leur futur régime matrimonial.

 

 

Remarque préliminaire : les époux mariés postérieurement au 28 janvier 2019, sont soumis aux dispositions du Règlement de l’Union européenne 2016/1103 (le Règlement).

En l’absence de choix de loi, la loi applicable au régime matrimonial des époux est en principe, la loi de la première résidence commune des époux.

Ainsi, le régime matrimonial de Louise et Martin, en l’absence de désignation de loi applicable, serait soumis à la loi de leur première résidence habituelle, à savoir la loi allemande. 

Pour ne pas subir un régime matrimonial qui ne répondrait pas aux souhaits du couple, et ne correspondrait pas à leur situation concrète, les époux ont fort intérêt à désigner la loi applicable à leur régime matrimonial.

Le Règlement offre aux époux la possibilité de désigner la loi applicable à leur régime matrimonial et de choisir soit :

  • la loi de l’État dans lequel au moins l’un des époux ou futurs époux a sa résidence habituelle au moment où les époux font ce choix conventionnellement ;
  • la loi d’un État dont l’un des époux ou futurs époux a la nationalité au moment de la conclusion de la convention.

Ainsi, Louise et Martin pourraient désigner la loi française ou la loi autrichienne comme applicable à leur régime matrimonial.  

 Le Règlement ne prévoit pas expressément la possibilité de choisir parmi les régimes matrimoniaux envisagés par la loi désignée. La désignation d’une loi emportant renvoi à celle-ci, si cette loi le permet il y a lieu de compléter la désignation de la loi applicable du choix du régime matrimonial : soit le régime légal appliqué dans le pays dont la loi a été désignée (par exemple la communauté réduite aux acquêts française) soit un régime dit « conventionnel » (par exemple le régime de la séparation de biens française).

Situation 2 : Au cours du mariage, déjouer les effets complexes de la « mutabilité automatique »

                Arthur, de nationalité française, et Paulina, de nationalité norvégienne, se sont mariés en France sans contrat de mariage en 2003 et se sont immédiatement installés en Italie. 

                En 2006 ils sont partis s’installer en Norvège.

                En 2021, ils souhaitent quitter la Norvège pour s’installer définitivement en France. Ils viennent d’ailleurs nous voir pour l’acquisition de leur résidence principale en France. Paulina envisage de demander la nationalité française.

 

                Lorsque nous les interrogeons sur leur régime matrimonial, les réponses divergent :

–      Arthur en est sûr : ils sont mariés sous le régime légal français (la communauté réduite aux acquêts) car ils se sont mariés en France.

–      Paulina, quant à elle, estime être mariée sous le régime légal applicable en Norvège (la séparation de biens) où ils ont vécu plus longtemps.

 

                Quid juris ?

 

 

Remarque préliminaire : les époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019, sont soumis aux dispositions de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux.

Cette Convention établit qu’en l’absence de choix exprès de loi applicable, la loi applicable au régime matrimonial des époux est en principe la loi du pays de la première résidence des époux.

Toutefois, cette Convention prévoit des cas de mutabilité automatique. En d’autres termes, la loi applicable pour régir le régime matrimonial des époux peut changer de façon automatique, sans que les époux n’interviennent (seulement en l’absence de contrat de mariage et de désignation expresse de loi applicable).

Ainsi, la loi interne de l’Etat où les époux ont leur résidence habituelle devient applicable, pour l’avenir, aux lieu et place de celle à laquelle leur régime matrimonial était antérieurement soumis dans plusieurs cas et notamment :

  • lorsque les époux fixent leur nouvelle résidence habituelle dans l’Etat dont ils ont la nationalité commune, ou dès lors qu’ils l’acquièrent ;
  • lorsque les époux établissent leur nouvelle résidence habituelle dans un Etat plus de 10 ans.

Ainsi, lorsque les époux changent de résidence habituelle, ils peuvent se croire soumis au régime matrimonial légal du pays de leur résidence initiale, alors qu’ils sont en fait soumis à plusieurs régimes matrimoniaux qui se succèdent dans le temps. 

Arthur et Paulina sont le parfait exemple des effets complexes d’une telle mutabilité automatique, et de l’insécurité juridique qu’elle implique.

Ayant fixé leur première résidence habituelle en Italie, ils étaient initialement soumis au régime légal Italien (communauté d’acquêts) jusqu’en 2016.

Leur résidence habituelle ayant ensuite été fixée plus de 10 ans en Norvège, ils sont soumis au régime légal norvégien (séparation de biens) depuis 2016. 

Si les époux s’installent définitivement en France et que Paulina obtient la nationalité française, nationalité d’Arthur, les époux seront soumis au régime légal français (communauté d’acquêts) à compter de l’obtention de la nationalité française par Paulina et pour l’avenir.  

Ainsi trois régimes se succéderaient :

  • régime italien de la communauté d’acquêts de 2003 à 2016 ;
  • régime norvégien de la séparation de biens de 2016 à aujourd’hui ;
  • régime français de la communauté d’acquêts dès lors qu’ils s’installeront définitivement en France et que Paulina obtiendra la nationalité française.

Par conséquent, le notaire serait contraint de tirer les conséquences en liquidant ces régimes successifs au moment de la dissolution du mariage, engageant des frais supplémentaires. 

Arthur et Paulina, surpris et désemparés, nous demandent si les choses peuvent s’arranger de sorte que leur régime matrimonial soit fixé de façon définitive et unique.

Les époux mariés antérieurement au 28 janvier 2019 peuvent bénéficier des dispositions du Règlement de l’Union européenne 2016/1103, leur permettant de désigner la loi applicable à leur régime matrimonial et peuvent convenir que cette désignation vaut tant pour le passé que pour l’avenir, tant que cela ne porte pas atteinte aux droits des tiers.

Arthur et Paulina, comme tous les époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019, tant qu’ils sont placés dans un contexte international, ont tout intérêt à prendre des dispositions (par l’intermédiaire d’un choix de loi rétroactif) pour éviter un changement involontaire lié au mécanisme de mutabilité automatique inclus dans la Convention de La Haye (et qui a disparu du Règlement de l’Union européenne 2016/1103.)

Ils peuvent ainsi choisir de soumettre leur régime à

  • la loi norvégienne, en tant que loi de l’État de leur résidence habituelle actuelle et loi nationale de Paulina;
  • la loi française, en tant que loi nationale d’Arthur.

Soulagés que des solutions leur soient apportées, Arthur et Paulina nous confient la rédaction d’un acte contenant désignation de loi française comme applicable à leur régime matrimonial, avec effets rétroactif.

                                                                                                                                                                                                             

03/05/2022 Gersende Rouet

 

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