Les troubles anormaux du voisinage affectent-ils les ventes ?

La jurisprudence s’adaptant à l’évolution de la société a créé la notion de troubles anormaux du voisinage, limitation nécessaire à l’absolutisme du droit de propriété.

 Comment cette notion s’insère-t-elle alors dans un transfert de propriété :

  • Trouble subi : le devoir d’information et de bonne foi du vendeur couvre-t-il l’obligation d’information des troubles causés par les voisins ? ou l’acquéreur doit-il s’informer par lui-même ?
  • Trouble causé : l’acquéreur peut-il être responsable de troubles causés ou initiés par son vendeur ?
  1. La théorie des troubles anormaux de voisinage, création jurisprudentielle décorrélée de l’intention de nuire

La Cour de cassation a consacré la théorie des troubles anormaux de voisinage dans les années 1970, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 1977 (Cass. civ. 3, 16 novembre 1977, Bull n°395) qui casse un arrêt de Cour d’appel au motif

« qu’en outre, pour savoir si les bruits n’avaient qu’une importance relative, eu égard au quartier en cause, la cour d’appel aurait dû préciser quel était le niveau sonore correspondant en l’espèce aux inconvénients normaux du voisinage ».

Cette théorie est née d’une réflexion juridique sur l’usage du droit de propriété.

Un propriétaire peut-il user de son bien de la manière la plus absolue, comme l’énonce l’article 544 du Code civil, ou doit-on établir des limites à cet exercice eu égard aux troubles et inconvénients qu’il peut causer à son voisinage ?

La jurisprudence trouva une première à limite à l’usage du propriétaire : l’abus de droit. Toutefois l’abus de droit, qui suppose une intention de nuire de la part du propriétaire ; ne permet pas de mettre fin à bon nombre de troubles de voisinage (on parle de « troubles » plutôt que de « préjudices » en ce domaine) puisque ces derniers ne sont pas forcément le fruit d’une intention malveillante.

La théorie des troubles anormaux voisinage permet quant à elle de sanctionner la violation de toute norme (sociale, environnementale, etc.) sans égard pour le comportement fautif ou non du propriétaire. La norme est appréciée en fonction du lieu et de l’époque, des usages pratiqués, de leur répétition, et de leur durée, etc.

Cette théorie n’ignore toutefois, pas tout à fait, les règles de la responsabilité civile. A l’origine du trouble, il y a toujours une personne qui cause le trouble.

Aussi les visas des arrêts de la Cour de cassation ont longtemps fait appel à la fois aux articles 544, pour l’aspect propriété, et 1382, pour l’aspect responsabilité civile, du Code civil. Cette idée d’une responsabilité civile, sous-jacente, y compris du fait des personnes et des choses sous sa garde, se retrouve dans l’article R. 1334-31 du Code de la santé publique qui dispose, s’agissant des nuisances sonores :

 « Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité. »

Aujourd’hui, la Cour de cassation ne vise plus les articles 544 et 182 du Code civil, signe de l’autonomie prise par cette théorie. Elle se réfère uniquement à un principe qu’elle a elle-même ciselé :

« Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. ».

La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage est de plein droit et sans faute (Cass. civ. 3, 11 mai 2000, n° 98-18.249). Des textes épars reprennent ces solutions (infra).

La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage apparaît souvent s’exercer dans un milieu champêtre et pittoresque ; tels les néo-ruraux qui ayant acquis une maison à la campagne se plaignent du chant du coq dès la levée du jour. Jusqu’à présent, ces recours ont échoué. Il faut se garder de ce préjugé.

 

  1. L’incidence de la théorie des troubles anormaux de voisinage sur les ventes d’immeubles

La théorie des troubles anormaux de voisinage peut prendre des formes particulières qui ne sont pas sans répercussion sur les ventes d’immeubles.

Deux arrêts récents de la Cour de cassation le démontrent : le premier concerne un acquéreur victime des troubles de jouissance ; dans le second, c’est un voisin qui agit contre l’acquéreur d’un bien source d’un trouble anormal de voisinage.

a. L’acquéreur responsable d’un trouble anormal de voisinage du fait de son vendeur ne peut invoquer la garantie d’éviction (Cass. civ. 3, 24 juin 2021, n°20-14.091, inédit)

Dans cet arrêt de la Cour de cassation en date du 24 juin 2021, un couple acquéreur d’un appartement apprit que leur vendeur avait été condamné pour trouble anormal de voisinage. Ce dernier avait en effet posé du marbre sur le plancher source de nuisances sonores pour les voisins. Le couple acquéreur, de crainte de futurs recours de leurs voisins, décide alors d’engager la responsabilité de leur vendeur sur le fondement de la garantie d’éviction et la garantie des vices cachés.

Les acquéreurs dans leur pourvoi font valoir « qu’en écartant leur demande d’indemnisation, au motif que cette condamnation personnelle est inopposable aux acquéreurs futurs, faute d’avoir modifié leur droit réel de propriété portant sur le bien, bien qu’elle portait sur le bien immobilier objet de la vente, qu’elle privait ses propriétaires actuels de la jouissance d’une partie de la chose vendue et qu’elle engendrait une moins-value, la cour d’appel a violé l’article susvisé. »

Le pourvoi était habile ; il reposait sur une lecture nouvelle de l’article 1626 du Code civil.

« Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente ».

La Cour de cassation rejeta le pourvoi s’en tenant à sa jurisprudence. Selon elle, les charges visées par l’article 1626 du Code civil sont les charges réelles c’est-à-dire des charges résultant d’un droit réel (spécialement les servitudes). La garantie d’éviction ne garantit pas des troubles attachées à la chose vendue. La garantie d’éviction ne garantit l’acquéreur que du préjudice résultant de la concurrence entre le droit réel revendiqué et le droit de propriété vendu l’acquéreur.

« La cour d’appel a retenu à bon droit que la condamnation de la venderesse à faire cesser les troubles de voisinage était une condamnation personnelle qui n’avait pas modifié la teneur du droit réel de propriété sur le bien.

Elle en a exactement déduit que cette condamnation ne constituait pas une charge sur le bien, dès lors que le trouble allégué dans la jouissance de la chose vendue ne résultait pas d’un droit sur le bien invoqué par un tiers. »

La Cour de cassation ne répondit pas aux moyens tirés de la garantie des vices cachés estimant la décision de la Cour d’appel spécialement motivée et les moyens impropres à entraîner la cassation. La Cour d’appel avait jugé que la garantie des vices cachés ne pouvait être retenue la nuisance causée ne rendant pas le bien acquis impropre à sa destination. Le moyen invoquant le dol subit le même sort.

b. L’acquéreur fraichement titré est responsable envers son voisin des troubles de voisinage dont la source est antérieure à son acquisition (Cass. civ. 3, 16 mars 2022, 18-23.954, publié au bulletin)

L’usufruitière d’un pavillon assigne à la suite d’infiltrations venant de la propriété voisine, les propriétaires de celle-ci, nouvellement propriétaire, ainsi que leurs vendeurs, en réparation des troubles causés à son pavillon sur le fondement de troubles anormaux du voisinage.

La Cour de cassation dans son arrêt du 16 mars 2022 confirme la position de la Cour d’appel : l’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit. Ayant constaté que le trouble subsistait lors de la vente du fonds à l’origine du désordre, la cour d’appel en a exactement déduit que la responsabilité des nouveaux propriétaires devait être retenue.

Si l’on suit l’arrêt précédent, les nouveaux propriétaires se retourneront en vain contre leur vendeur.

c. Vers l’insertion d’une clause spécifique dans les actes de vente

L’enseignement que l’on peut tirer de ces deux arrêts est que l’existence ou non de troubles anormaux de jouissance mérite de faire l’objet de déclarations spécifiques dans l’acte de vente. Ces déclarations permettent d’une part de rassurer et protéger l’acquéreur et d’autre part d’acter la réalisation par le vendeur de son obligation d’information et de bonne foi contractuelle et par le notaire de son devoir de conseil. Toutefois, ce thème étant particulièrement subjectif, la pratique notariale ne peut que se développer avec prudence.

Ainsi, dans cette perspective de diminuer les actions diligentées par les acquéreurs contre leur vendeur pour troubles anormaux de voisinage, la Chambre des notaires du Morbihan a mis au point la proposition de clause suivante, centrée sur la responsabilisation de l’acquéreur :

 

ACTIVITES DANS L’ENVIRONNEMENT PROCHE DE L’IMMEUBLE

Préalablement à la signature des présentes, le bénéficiaire déclare s’être assuré par lui-même, des activités, professionnelles ou non, de toute nature, exercées dans l’environnement proche de l’immeuble, susceptibles d’occasionner des nuisances, sonores, olfactives, visuelles ou autres…

Le notaire a spécialement informé le bénéficiaire, savoir :

-Des dispositions de l’article L 112-16 du code de la construction et de l’habitation :

« Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. »

– qu’outre les dispositions législatives ou réglementaires spéciales dont relèvent certaines activités, la législation, relative aux troubles anormaux du voisinage, se fonde sur les articles 1240 et 1241 du Code civil selon lesquels « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » et « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

L’article 544 du Code Civil ajoute que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

De plus, l’article R. 1334-31 du Code de la santé publique dispose qu’ « aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ». Chaque rapport de voisinage peut susciter des désagréments, il n’en reste pas moins qu’il ne caractérise pas nécessairement un trouble « anormal ». Serait considéré, par le Tribunal Judiciaire, comme anormal, un trouble répétitif, intensif, ou un trouble qui outrepasse les activités normales attendues de la part du voisinage.

Le bénéficiaire aux présentes déclare avoir accompli toutes diligences et s’être entouré de toutes les informations nécessaires relatives à la situation de l’immeuble et aux activités professionnelles, ou non, exercées dans le proche environnement de ce dernier, et renonce à exercer tout recours contre le promettant devenu vendeur à quelque titre que ce soit.

                                                                                                                                                                                                            

28/07/2022 Michel Thomas – Chargé d’enseignement au CNAM et INFN

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