La tontine, à quelles conditions et dans quelle utilité ?

  • L’achat en tontine consiste en des conditions croisées : chacun des acquéreurs effectue l’acquisition du tout sous la condition suspensive de sa survie et sous la condition résolutoire de son prédécès.
  • Admise civilement si l’aléa croisé est réel, la tontine revient dans les schémas patrimoniaux, notamment pour des familles recomposées ou des situations internationales qui souhaitent éviter la réserve ou le droit de prélèvement.
  • La fiscalité particulière de la tontine reste dissuasive hors mariage ou PACS mais son champ d’application est en fait limité.

Aussi connue sous le nom de « clause d’accroissement », des acquéreurs peuvent choisir d’insérer une clause de tontine dans leur titre acquisitif. Son mécanisme est relativement simple : chacun d’eux effectue l’acquisition sous la condition suspensive de sa survie et sous la condition résolutoire de son prédécès. Au premier décès, le survivant sera réputé propriétaire de l’intégralité du bien et ce de manière rétroactive à la date d’acquisition en commun. Réciproquement, le défunt sera considéré comme n’ayant jamais été propriétaire.

I. Mise en place

Le nerf de la guerre ne réside pas tant dans la rédaction de la clause mais dans la préexistence d’un réel aléa. Les points d’attention devront plutôt porter sur le negotium que l’instrumentum. Si l’issue de la tontine semble courue d’avance pour l’un des signataires, son efficacité risque d’être remise en cause. Exit donc la mise en place du pacte entre des personnes séparées d’une importante différence d’âge, avec de grandes disparités dans leurs quotités de financement ou encore dont l’une a un état de santé dégradé[1]. Chacune doit réellement prendre le pari et ce d’autant plus que ces critères sont soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond.

II. Dénouement

A. Sur le plan civil

Les biens acquis étant réputés comme n’ayant jamais appartenus au défunt, une question vient à l’esprit : le dénouement du pacte reste-t-il le même en présence d’héritiers réservataires ? La réserve héréditaire constitue-t-elle une limite susceptible de remettre en cause l’efficacité du mécanisme ? La réponse est non. Compte tenu de l’aléa, la tontine est qualifiée d’acte à titre onéreux, ce qui exclut la qualification de libéralité. Les héritiers ne pourront donc agir en réduction et obtenir la réintégration du bien dans le patrimoine du défunt. En effet, sauf dans l’hypothèse d’une requalification en donation déguisée, la part d’un bien acquis en tontine n’est pas transmise par le biais successoral et tombe définitivement dans le patrimoine du survivant.

Dans la même veine, le pacte tontinier sera susceptible de faire échec à l’application d’un régime matrimonial en empêchant le bien acquis par l’un des époux de tomber en communauté.

Pareillement, la tontine va rendre le bien insaisissable par les créanciers de chacun des acquéreurs de leur vivant. La condition suspensive de survie n’étant pas réalisée, le bien n’est pas dans le patrimoine de l’un d’eux et donc insaisissable[2]. Le tout bien sûr dans la limite de l’organisation de son insolvabilité et de l’action en fraude paulienne pouvant en résulter.

Allant au bout du mécanisme du pacte et de l’analyse juridique selon laquelle le bien n’a jamais appartenu au premier défunt et que la transmission ne s’opère pas par décès, aucune formalité ne devra être effectuée auprès de la publicité foncière lors du premier décès. Inutile donc au notaire chargé de la succession du premier défunt de rédiger une attestation de propriété. Son établissement reste possible mais n’est pas requise. Pour parer au risque de blocage et de refus en vertu du principe de l’effet relatif, la mention du premier décès et la fourniture d’un extrait d’acte de décès suffiront. Aussi simplement que lors de la revente du nu-propriétaire après l’extinction d’un usufruit réservé.

L’autre particularité de la tontine pointée par nombre d’auteurs est l’absence de création d’indivision. En effet, si la Cour de cassation se réfère à une « indivision en jouissance »[3], c’est le seul rapprochement qu’elle effectue entre le pacte tontinier et les articles 815 et suivants du Code civil. Le sort du bien en tontine devra être décidé conjointement avec l’impossibilité pour le plus épuisé de ses signataires de demander le partage. A défaut d’accord, le pacte tontiner a la consonnance peu rassurante d’irrévocable[4]. Cette situation peut paraître proche d’une indivision à deux qui implique également l’unanimité, mais la tontine a l’inconvénient supplémentaire de ne pas rendre possible un recours au juge en cas de désaccord.

B. Sur le plan fiscal

Quoique la clause de tontine soit qualifiée d’acte à titre onéreux civilement, l’article 754 A du Code général des impôts soumet la part revenant au survivant aux droits de mutation à titre gratuit sauf si le bien transmis à la fois (i) constitue la résidence commune des acquéreurs tontiniers et (ii) sa valeur globale est inférieure à 76.000 €[5]. La force de la tontine sur le plan civil de la tontine est ainsi balayée par son coût fiscal surtout en l’absence de liens de famille ou de PACS, dans quel cas les droits s’élèveront à 60%.

Une solution pourrait être la mise en place d’un contrat d’assurance vie qui aidera le survivant à s’acquitter du paiement des droits.

Une autre pourrait être le recours au contrat de société[6] : des futurs associés, chacun d’ores et déjà propriétaires de biens, les apporteront à une société créée entre eux dont les parts ou actions seront grevées d’une clause d’accroissement. En effet, dès lors, l’achat n’est pas fait « en commun » ce qui empêche l’application de l’article 754A. Le survivant sera alors soumis aux droits de mutation à titre onéreux variant de 0,1% pour des actions non cotées à 3% pour des parts et 5% si la société est à prépondérance immobilière, soit des montants bien moins prohibitifs. Toujours dans le respect de la condition d’aléa initial, l’associé survivant se verra seul propriétaire des parts de la société.

Afin d’éviter la nullité des sociétés unipersonnelles, il est utile d’inclure un troisième associé ou de prévoir la détention par chacun des associés d’une part hors tontine.

La validité du pacte tontinier en société est reconnue de longue date par la Cour de cassation dans la limite de la fraude aux droits des créanciers de l’un des associés. Néanmoins, si l’efficacité du mécanisme est reconnue, il reste indispensable que le schéma ne soit pas mis en place en poursuivant un motif exclusivement ou principalement fiscal.

                                                                                                                                                         

22/07/2022 Pauline-Alexia PALOMBO

 

[1] Civ. 1ère, 10 mai 2007, n°05.21011

[2] Civ. 1ère, 18 nov. 1997, n°95-20842

[3] Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-21.710

[4] S. Sabot-Barcet, V. Trambouze-Livet, Société tontinière et clause de tontine : une nouvelle jeunesse : JCP N 2016, n° 19, 1157

[5] Montant non modifié depuis … malgré l’évolution des prix de l’immobilier sur la période…

[6] G. Baffoy, L’usage de la tontine en droit des sociétés : JCP E 2003, prat. 276

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