La mise en conformité à la loi : entre ordre et désordre. La mise en conformité des règlements de copropriété et des statuts d’ASL.

Quels sont les moyens pour une mise en conformité à la loi ?

 – L’application de la loi ELAN : une sanction trop forte suivie d’un recul législatif, une mise en conformité manquée

 – La mise en conformité des associations syndicales libres (A.S.L.) : une mise en conformité complexe, mais in fine efficace

 – L’obligation d’immatriculation des sociétés civiles en 2002 : une mise en conformité réussie

Le législateur a pour ambition légitime de vouloir soumettre à tout ou partie de ses réformes, outre les actes et situations nouvelles, les actes ou situations passées. Ne pouvant recourir à des dispositions rétroactives, il se tournera très naturellement vers une obligation de mise en conformité par les redevables desdits actes et situations.

Si cette mise en conformité apparaît simple à édicter, sa mise en œuvre peut se révéler ardue. Si des mises en œuvre législatives ont porté leurs fruits relativement facilement, d’autres ont échoué. Certaines, sans échouer totalement, ont engendré un contentieux durable et complexe.

Ne pouvant prétendre à l’exhaustivité, deux exemples seront pris dans l’actualité relative à l’organisation du foncier :

– la mise en conformité, par la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 « ELAN » pour « l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », des parties communes spéciales, des droits de jouissance privative et des lots transitoires ;

– la mise en conformité des associations syndicales libres (A.S.L.), par l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004.

  1. La loi « ELAN » et la mise en conformité de la copropriété

La loi « ELAN » du 23 novembre 2018, suivie de l’ordonnance du 30 octobre 2019, est venue modifier, à la dernière minute puisque tel n’était pas son sujet initial, la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. L’article 6-4 issu de cette loi dispose que « l’existence des parties communes spéciales et de celles à jouissance privative est subordonnée à leur mention expresse dans le règlement de copropriété ».

L’article 209 II de la loi « ELAN » enjoint les syndicats de copropriétaires de mettre en conformité les règlements de copropriété avec les dispositions de la loi nouvelle dans un délai de trois ans de sa promulgation, soit avant le 24 novembre 2021. A cette fin il était imposé au syndic de mettre à l’ordre du jour de chaque assemblée de copropriétaires la question de ladite mise en conformité des stipulations des règlements s’agissant des parties communes spéciales et des droits de jouissance privative.

Un dispositif similaire fut édicté par l’article 206 pour les lots transitoires.

Aucune sanction spécifique ne fut prévue ce qui suscitait de nombreuses questions. Un raisonnement a contrario de l’article 6-4 précité pouvait laisser accroire que l’existence même du droit était remise en cause. Une telle sanction aurait conduit, en cas de non-mise en conformité, à priver un copropriétaire de son droit de jouissance privatif d’une terrasse attaché à son lot ou le promoteur du droit de construire attaché à son lot transitoire.

De telle solutions ne pouvaient être retenues s’agissant de droits de propriété ou de droits réels.

Devant cette impasse, la loi n°2022-217 du 21 février 2022 relative à « la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique », dite « 3DS » préféra y couper court, les cas de non-mise en conformité étant très nombreux, voire majoritaires.

L’article 89 de la loi « 3DS » modifiant les articles 206 et 209 de la loi ELAN distingue les deux hypothèses suivantes :

  • si le règlement de copropriété est postérieur au 1er juillet 2022, il doit se conformer à la loi ELAN, ce qui peut apparaître comme la moindre des choses….
  • à l’inverse s’il est antérieur, le syndic porte la mise à conformité à l’ordre du jour de chaque assemblée générale et les régularisations se font au fil de l’eau. Dans l’hypothèse de non- mise en conformité du règlement, l’article 89 dispose que « l’absence d’une telle mention dans le règlement de copropriété est sans conséquence sur l’existence de ces parties communes ».

Au final, on revient à l’application de la loi ELAN, mais sans aucune obligation de mise en conformité, et par conséquent sans sanction.

 

  1. La mise en conformité des associations syndicales libres (A.S.L.) par l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004.

Une A.S.L. est régie principalement par les dispositions de la loi du 21 juin 1865, celles du décret du 18 décembre 1927 et celles de l’ordonnance n°2004-632 du 1er juillet 2004 et du décret n°2006-504 du 3 mai 2006 pris en son application.

L’ordonnance de 2004, en son article 60 alinéa 2, dispose que les A.S.L. auront deux ans à compter de la publication de son décret d’application en Conseil d’Etat, soit le 5 mai 2008, pour mettre en conformité leurs statuts.

La mise en conformité est approuvée par l’autorité administrative.

A défaut, et après une mise en demeure adressée au président de l’association restée sans effet durant plus de trois mois, l’autorité administrative procède d’office aux modifications statutaires nécessaires.

Les statuts demeureront en vigueur jusqu’au 5 mai 2008, date ultime de leur mise en conformité. Après cette date toute décision prise en assemblée générale de l’ASL, alors que les statuts n’ont pas été mis à jour, peut être contestée par tout membre. Les contestations sont valables dans un délai de cinq ans à compter de la date de l’assemblée générale.

Aucune autre sanction n’était prévue.

L’un des apports de l’ordonnance de 2004 a été de donner une pleine capacité auxdites associations ; son article 5 dispose en effet : « Les associations syndicales de propriétaires peuvent agir en justice, acquérir, vendre, échanger, transiger, emprunter et hypothéquer sous réserve de l’accomplissement des formalités de publicité prévues selon le cas aux articles 8, 15 ou 43 ».

L’article 7 prévoit que l’A.S.L. devra définir dans ses statuts « son nom, son objet, son siège et ses règles de fonctionnement. Ils comportent la liste des immeubles compris dans son périmètre et précisent ses modalités de financement et le mode de recouvrement des cotisations. »

L’article 3 du décret du 3 mai 2006 précise :

« Outre ce qui est mentionné à l’article 7 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 susvisée, les statuts de l’association syndicale libre fixent les modalités de sa représentation à l’égard des tiers, de distraction d’un de ses immeubles, de modification de son statut ainsi que de sa dissolution.

Sont annexés aux statuts le plan parcellaire prévu à l’article 4 de la même ordonnance et une déclaration de chaque adhérent spécifiant les désignations cadastrales ainsi que la contenance des immeubles pour lesquels il s’engage. (…/…).

Une copie de ces pièces est jointe à la déclaration prévue par l’article 8 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 susvisée. »

Ledit article 4 précise :

« Le président de l’association syndicale de propriétaires tient à jour l’état nominatif des propriétaires des immeubles inclus dans le périmètre de celle-ci ainsi que le plan parcellaire. A cet effet, toute mutation de propriété d’un immeuble inclus dans le périmètre de l’association lui est notifiée par le notaire qui en fait le constat.

Le propriétaire d’un immeuble inclus dans le périmètre d’une association syndicale de propriétaires doit, en cas de transfert de propriété, informer le futur propriétaire de cette inclusion et de l’existence éventuelle de servitudes. Il doit informer le locataire de cet immeuble de cette inclusion et de ces servitudes. »

Nombre de commentateurs pensaient que la sanction du défaut de conformité serait, pour l’A.S.L.  contrevenante, la perte de sa personnalité morale.

Les tribunaux furent assez rapidement saisis.

La Cour de cassation se prononça dans un arrêt de principe du 5 juillet 2011 (Civ. 3, 5 juill. 2011, n°10-15.374 : JurisData n°2011-013662), fortement motivé : une A.SL. non mise en conformité « perd son droit d’agir en justice ».

« Mais attendu qu’ayant justement relevé qu’aux termes de l’article 5 de l’ordonnance du 1er juillet 2004, les associations syndicales de propriétaires peuvent agir en justice sous réserve de l’accomplissement des formalités de publicité prévues par l’article 8 et qu’en application de l’article 60 de la même ordonnance, les associations syndicales constituées en vertu de la loi du 21 juin 1865 disposaient, pour mettre leurs statuts en conformité avec le nouveau dispositif légal, d’un délai de deux ans  (…/…) la cour d’appel (…/…) , a retenu, à bon droit, que l’AFUL avait perdu son droit d’agir en justice ».

Si la Cour de cassation ne remit pas en cause la personnalité morale de l’A.S.L., la privation du droit d’agir en justice produisit de graves conséquences pour les ASL.  Ainsi un recours contentieux dirigé par une ASL contre les constructeurs et assureurs devenait ipso facto caduc.

Etant rappelé que les A.S.L. régies par la loi du 21 juin 1865 avaient la faculté d’acquérir ou de perdre leur personnalité juridique. Effet selon les articles 3 et 7 de la loi de 1865 précité, « les associations syndicales libres (ASL) peuvent ester en justice par leurs syndics, acquérir, vendre, échanger, transiger, emprunter et hypothéquer » mais « à défaut de publication dans un journal d’annonces légales, l’association ne jouira pas du bénéfice de ces dispositions ».

La Cour de cassation justifia plus amplement sa décision dans un avis qu’elle rendit le 13 février 2014. A un justiciable qui prétendait que « la perte pure et simple du droit d’agir en justice de l’association syndicale libre » était contraire à la déclaration des droits de l’homme en ce qu’elle méconnaissait le principe d’un droit juridictionnel effectif, la Cour de cassation affirma que la déchéance du droit d’ester en justice ne « portait pas une atteinte substantielle au droit des associations syndicales libres à un recours juridictionnel effectif dès lors qu’elles ont la possibilité de recouvrer leur droit d’ester en justice en accomplissant, même après l’expiration du délai prévu par l’article 60, les mesures de publicité prévues par l’article 8 de ladite ordonnance ».

Cet avis est extrêmement important. Il confirme que la non-mise en conformité ne prive pas d’existence une ASL. Il ajoute, in fine, qu’une ASL peut retrouver sa capacité d’ester même si sa mise en conformité a lieu après le 5 mai 2008.

Ce principe fut confirmé dans un arrêt du 5 novembre 2014 (Civ. 3, 5 nov. 2014, n° 13-21.014) mettant en œuvre cette solution. L’incapacité d’ester est couverte si la mise en conformité a eu lieu avant que le juge ne statue : « Que l’absence de mise en conformité des statuts de l’ASL la privait de sa capacité d’ester en justice mais ne remettait pas en cause son existence légale, la cour d’appel, qui a constaté que cette irrégularité était couverte au moment où elle statuait » (également, Civ. 3, 12 novembre 2014, n°13-25.547 ; dans le même sens pour le Conseil d’Etat : 24 février 2021 n°432417).

L’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 8 juin 2017 essaya de réduire le champ d’application de la sanction attachée à l’absence de mise en conformité, en distinguant deux situations : celle de la création de l’A.S.L. d’une part, et celle de la mise en conformité, d’autre part. « Si la création d’une association syndicale libre impose d’annexer aux statuts le plan parcellaire prévu à l’article 4 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 et la déclaration de chaque adhérent spécifiant les désignations cadastrales, ainsi que la contenance des immeubles pour lesquels il s’engage, ces formalités ne sont pas exigées pour la mise en conformité des statuts avec l’ordonnance précitée ».

La distinction ainsi proposée fut fermement rejetée par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 septembre 2018 (Civ. 3, 6 sept. 2018, n° 17-22.815), abondamment commenté, qui censura pour violation des articles 7 et 60 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 et de l’article 3 du décret du 3 mai 2006 une Cour d’appel qui affirma que « la création d’une association syndicale libre impose d’annexer aux statuts le plan parcellaire prévu à l’article 4 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 et la déclaration de chaque adhérent spécifiant les désignations cadastrales, ainsi que la contenance des immeubles pour lesquels il s’engage, ces formalités ne sont pas exigées pour la mise en conformité des statuts ».

Une semaine plus tard, la Cour de Cassation persévéra dans un arrêt du 13 septembre 2018 (Civ. 3, 13 septembre 2008, n°17-2204) : elle persista dans sa sévérité exigeant que la mise en conformité des statuts doit aboutir à des statuts réellement conformes. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir décidé « qu’en l’absence d’adoption des statuts conformes à la nouvelle réglementation, l’ASL n’avait pas retrouvé son droit d’agir en justice en cours de procédure (…) ».

Cela conduit donc à faire, lors de la mise en conformité à la loi, un contrôle au fond des statuts.

La Cour d’appel de Paris (C. Appel de Paris, 15 janv.2019, n°18/04584), considérant les exigences de mise en conformité, trop sévères, emboîta le pas de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, (C.Appel Aix-en-Provence, 1re et 5e chambres réunies, 7 novembre 2019 – n° 18/17443), qui maintint sa décision rendue sur renvoi de son arrêt de 2017 précité.

Prenant acte de ces résistances, la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence très rapidement.

Elle décida ainsi, que les statuts mis à jour n’avaient à être publiés par extrait contrairement aux statuts d’une ASL (Civ. 24 septembre 2020, n°19-14.762, publié).

Mais c’est toutefois dans deux décisions suivantes que la Cour de cassation marquera son revirement et prendra le contrepied de son arrêt du 6 septembre 2018.

En effet sur renvoi de l’arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence (qui maintint fermement sa décision précitée) la Cour de cassation s’inclina. Tout d’abord, dans un premier arrêt en date du 16 septembre 2021 (Civ 16/09/2021, n°19-26.337), elle affirme qu’il n’est désormais plus nécessaire, lors de la mise en conformité, d’annexer le plan du parcellaire aux statuts.

« Ayant retenu à bon droit que les statuts eux-mêmes n’avaient pas à contenir, à peine de nullité, le plan parcellaire prévu à l’article 4 de l’ordonnance du 1er juillet 2004, la cour d’appel, qui n’a pas statué sur l’obligation d’inclure dans les statuts la liste des immeubles compris dans le périmètre de l’association et qui n’a pas dit que l’exigence relative au plan parcellaire ne s’appliquerait qu’en cas de création d’une association nouvelle, mais pas lors de la mise en conformité des statuts, en a exactement déduit que l’absence de plan parcellaire n’entraînait pas la nullité des statuts mis à jour ni celle de la délibération les approuvant. »

Aux termes du second arrêt, en date du 17 février 2022 (Civ. 3, 17 février 2022, n°20-17.438) elle considère, dans la même logique, qu’il n’est pas nécessaire, lors de la mise en conformité, d’annexer aux statuts la déclaration de l’article 3 susvisé. L’avocat général, M. STURLESE, considère dans son avis que la mise en conformité ne doit pas aboutir à un contrôle au fond des statuts, comme si ces derniers  venaient d’être créés, mais uniquement sur des aspects formels.

Le sommaire rédigé par la Cour de cassation ci-après reproduit est particulièrement clair

« Lorsque les associations syndicales mettent leurs statuts en conformité avec les dispositions de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 et du décret n° 2006-504 du 3 mai 2006, elles doivent respecter les formalités que ces textes imposent. Elles ne sont toutefois pas tenues d’annexer aux statuts mis en conformité la déclaration prévue par l’article 3 dudit décret, requise au moment des adhésions et qui doit être annexée aux statuts de l’association syndicale nouvellement formée.

En considérant l’absence d’annexion du plan parcellaire et de la déclaration prévue à l’article 3 comme n’étant plus une cause de nullité de la mise en conformité, la Cour de Cassation facilite la mise en conformité. Cette position est toutefois un revers pour le législateur car force est de constater que l’uniformisation recherchée n’a et n’aura pas lieu, et ce après quasiment 20 ans de contentieux.

La mise en conformité s’apparente donc à la quadrature du cercle.

 

  1. Rappel de l’obligation mise à la charge des sociétés civiles de s’immatriculer : une mise en conformité réussie

La loi n°78-9 du 4 juillet 1978 réforma le statut des sociétés civiles qu’elle intégra aux articles 1845 à 1870-1 du Code civil. Elle soumit les sociétés civiles créées après le 1er juillet 1978 (article 4 alinéa 4 de la loi) à l’obligation de s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés.

Devant la nécessité d’assurer la sécurité juridique des transactions avec les sociétés quelle que soit la date de création de celles-ci, la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 imposa l’immatriculation avant le 1er novembre 2002 des sociétés créées avant le 1er juillet 2008, avec dispense de publication dans un journal officiel.

Après des discussions quant à la sanction du défaut d’immatriculation (dissolution de la société ou perte de la personnalité morale), la Cour de cassation se prononça rapidement pour la seule perte de personnalité morale, celle-ci dégénérant en société en participation dans le cas de la continuation de son activité (Com. 7 janvier 2004, n°11-25.635 ; Civ. 3, 4 mai 2016, n°14-28.243).

L’arrêt de 2004 apporta également une précision importante ; les sociétés civiles non immatriculées peuvent toujours « récupérer » leur personnalité morale ; elles peuvent s’immatriculer comme tout autre société créée.

La loi a été très respectée en pratique, avec une vague importante d’immatriculations en 2002. Nous rencontrons encore quelques sociétés civiles non-immatriculées mais elles sont largement minoritaires.

                                                                                                                                                                                                            

25/03/2022 Michel Thomas

 

 

 

Facebook
Twitter
LinkedIn