La loi autorise à déborder chez son voisin en isolant thermiquement par l’extérieur un bâtiment existant !

Les droits de surplomb et de tour d’échelle, institués par la loi climat du 22 août 2021 et entrés en vigueur le 25 juin dernier, permettent à l’installation de l’isolation thermique extérieure ajoutée sur un bâtiment existant de déborder sur la propriété voisine.

Une convention doit être conclue entre le propriétaire désireux d’isoler son bien existant et le propriétaire voisin, constatant son accord et prévoyant le versement d’une indemnisation. Faute d’accord et d’opposition justifiée, les juges y feront droit.

La loi climat du 22 août 2021[1], dont l’un des objectifs est de réduire la facture énergétique, a institué un droit de surplomb et de tour d’échelle au profit d’un propriétaire d’un bâtiment existant qui procède à son isolation thermique par l’extérieur, pour permettre notamment que l’installation puisse déborder sur la propriété voisine !

Le nouvel article L. 113-5-1 du Code de la construction et de l’habitation, est entré en vigueur le 25 juin 2022 après publication du décret d’application du 23 juin 2022[2] créant les articles R. 113-19 à R. 113-24 du Code de la construction et de l’habitation.

Il n’est plus possible comme l’aurait sans doute fait le code Napoléon d’édicter une servitude générale sur tous les immeubles ; un certain nombre de normes supra-législatives, dont la Convention européenne des droits de l’homme[3], ne permettant pas d’imposer une restriction à la propriété sans que soit versée une juste et préalable indemnité.

Aussi le législateur a repris la technique qu’il avait adoptée lors de l’introduction de la servitude de cour commune[4] : (i) comme il poursuit un but d’intérêt général, l’existence de ce droit est prévue et garantie par la loi, mais (ii) la loi s’en remet pour la mise en œuvre de ce droit et le paiement de l’indemnité à la conclusion d’une convention entre les parties et (iii) à défaut d’accord entre les propriétaires, un juge ordonnera la mise en œuvre de ce droit et déterminera le montant de l’indemnité.

Les conditions à remplir sont assez simples :

  • que le propriétaire d’un bâtiment existant procède à son isolation thermique par l’extérieur,
  • qu’aucune autre solution technique ne permette d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique équivalent ou que cette autre solution présente un coût ou une complexité excessifs,
  • en ce qui concerne le droit de surplomb, que le propriétaire du fonds voisin ne justifie pas d’un un motif d’opposition sérieux et légitime tenant à l’usage présent ou futur de sa propriété,
  • en ce qui concerne le droit d’accès et à la mise en place d’installations provisoires, que le propriétaire du fonds voisin ne justifie pas d’un un motif d’opposition tenant à la consistance ou la jouissance de ce fonds qui en seraient affectées de manière durable ou excessive.

Les modalités de surplomb ne permettent pas un empiètement dès le niveau du sol : 

  • un droit de surplomb du fonds voisin de trente-cinq centimètres au plus,
  • à deux mètres au moins au-dessus du pied du mur, du pied de l’héberge ou du sol.

La procédure est relativement efficace :

  • le propriétaire pour bénéficier de cette servitude doit notifier à son voisin son intention de recourir à ladite servitude, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier de justice ;
  • le propriétaire voisin peut s’y opposer en saisissant le président du tribunal judiciaire dans un délai de six mois ;
  • les modalités de mise en œuvre du droit de surplomb sont constatées par acte authentique ou par décision de justice, publié pour l’information des tiers au fichier immobilier. Les modalités de mise en œuvre du droit d’accès sont définies dans une convention.

Quant à sa durée, ce droit de surplomb n’est pas perpétuel ; il cesse dans deux hypothèses :

  • destruction du bâtiment existant. La loi ne prévoit donc pas de droit de reconstruction à l’identique avec surplomb ;
  • obtention par le propriétaire du fonds surplombé d’une autorisation de construire incompatible avec ce droit de surplomb : une autorisation administrative de construire en limite séparative ou en usant de ses droits mitoyens dont la mise en œuvre « nécessite la dépose de l’ouvrage d’isolation ». Et le législateur précise que les frais de cette dépose incombent au propriétaire du bâtiment isolé, qui n’est pas remboursé de l’indemnité qu’il a versée en son temps.

Le droit de surplomb constitue-t-il une servitude ?

Il est important de relever que le législateur a employé l’expression de « droit de surplomb » et non celui plus habituel de « servitude de surplomb » et n’utilise pas non plus le terme de « servitude » pour la servitude de tour d’échelle.

Cette différence de terminologie n’est pas neutre. Le terme « droit » reprend la dernière jurisprudence de la Cour de cassation qui doit être rappelée : la Cour a prononcé la nullité des servitudes d’empiétement au sol, jurisprudence très controversée, aux termes d’un arrêt de principe du 24 mai 2000[5] décidant « qu’une servitude ne peut être constituée un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété ». Cet arrêt met fin aux servitudes d’empiétement.

La Cour de cassation a fait application de cette jurisprudence aux empiétements en surplomb en prononçant la nullité des servitudes de surplomb dans plusieurs arrêts :

  • le 27 juin 2001[6]« la véranda litigieuse avait été édifiée en surplomb du fonds du syndicat, alors qu’une servitude ne peut conférer le droit d’empiéter sur la propriété d’autrui » ;
  • le 10 novembre 2016[7]: pour un débord de toiture de 20 cm, surplombant la propriété voisine, « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

En outre bien que la servitude de surplomb soit continue et apparente, elle décide qu’elle ne peut être usucapée ; comme pour l’empiètement au sol, c’est la propriété de l’ouvrage lui-même qu’il faut usucaper ainsi que semble le suggérer l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2017[8]:

« Vu les articles 544, 545 et 637 du code civil ; (…/…)

Qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que le toit-terrasse résultait d’une transformation du toit du garage au-dessus duquel il était édifié, alors que seule l’assiette de la construction empiétante est susceptible de faire l’objet d’une prescription trentenaire et alors qu’une servitude de vue ne peut conférer le droit d’empiéter sur la propriété. » 

La nature du droit de surplomb.

Si le droit de surplomb ne peut être une servitude, quelle qualification peut-on retenir ? Il est certain qu’il s’agit d’un droit réel immobilier et qu’aucun des droits réels nommés du Code civil ou par des lois postérieures ne lui correspond. Il faut donc y voir un nouveau droit réel de jouissance créé par la loi, constitutif d’une forme de démembrement de propriété. La jurisprudence « Maison de la Poésie » de 2012, 2015 et 2016[9] en a autorisé la création conventionnelle par les parties, et la jurisprudence « SCI Aigle Blanc » de 2018[10] l’illustre explicitement : « les droits litigieux, qui avaient été établis en faveur des autres lots de copropriété et constituaient une charge imposée à certains lots, pour l’usage et l’utilité des autres lots appartenant à d’autres propriétaires, étaient des droits réels sui generis ».

Une autre voie aurait pu être choisie par le législateur : la reconnaissance d’un droit de propriété sur le volume en surplomb permettant la pose de l’isolation thermique. Cette technique, plus lourde parce que nécessitant l’intervention d’un géomètre, n’était pas justifiée par la volonté du législateur que ce nouveau droit de surplomb soit subsidiaire et temporaire. L’intention du législateur est clairement la reconstitution à terme du droit de propriété que manifeste l’interdiction de reconstruire en l’état

La publication de ce droit permettra par ailleurs de clarifier la nature de ce surplomb et d’éviter une prescription acquisitive.

                                                                                                                                                                                                           

02/11/2022 Michel Thomas (et Anne Laurent pour l’illustration)

Article L113-5-1 du Code de la construction et de l’habitation

I.- Le propriétaire d’un bâtiment existant qui procède à son isolation thermique par l’extérieur bénéficie d’un droit de surplomb du fonds voisin de trente-cinq centimètres au plus lorsqu’aucune autre solution technique ne permet d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique équivalent ou que cette autre solution présente un coût ou une complexité excessifs. L’ouvrage d’isolation par l’extérieur ne peut être réalisé qu’à deux mètres au moins au-dessus du pied du mur, du pied de l’héberge ou du sol, sauf accord des propriétaires des deux fonds sur une hauteur inférieure.

Une indemnité préalable est due au propriétaire du fonds surplombé.

Ce droit s’éteint par la destruction du bâtiment faisant l’objet de l’ouvrage d’isolation.

Les modalités de mise en œuvre de ce droit sont constatées par acte authentique ou par décision de justice, publié pour l’information des tiers au fichier immobilier.

II.- Le droit de surplomb emporte le droit d’accéder temporairement à l’immeuble voisin et d’y mettre en place les installations provisoires strictement nécessaires à la réalisation des travaux.

Une indemnité est due au propriétaire de l’immeuble voisin.

Une convention définit les modalités de mise en œuvre de ce droit.

III.- Avant tout commencement de travaux, le propriétaire du bâtiment à isoler notifie au propriétaire du fonds voisin son intention de réaliser un ouvrage d’isolation en surplomb de son fonds et de bénéficier du droit mentionné au II.

Dans un délai de six mois à compter de cette notification, le propriétaire du fonds voisin peut s’opposer à l’exercice du droit de surplomb de son fonds pour un motif sérieux et légitime tenant à l’usage présent ou futur de sa propriété ou à la méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa du I. Dans ce même délai, il ne peut s’opposer au droit d’accès à son fonds et à la mise en place d’installations provisoires que si la destination, la consistance ou la jouissance de ce fonds en seraient affectées de manière durable ou excessive.

Dans le même délai, il peut saisir le juge en fixation du montant de l’indemnité préalable prévue aux I ou II.

IV.- Lorsque le propriétaire du fonds surplombé a obtenu une autorisation administrative de construire en limite séparative ou en usant de ses droits mitoyens et que sa mise en œuvre nécessite la dépose de l’ouvrage d’isolation, les frais de cette dépose incombent au propriétaire du bâtiment isolé. L’indemnité prévue au I demeure acquise.

V.- Un décret en Conseil d’Etat précise les modalités d’application du présent article.

Articles R113-19 à R113-24 du Code de la construction et de l’habitation

Section 5 : Isolation thermique par l’extérieur des bâtiments

Article R113-19

La notification prévue au III de l’article L. 113-5-1 est faite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier de justice et comporte les éléments suivants :

1° Les noms, prénoms, adresses postales et électroniques et coordonnées téléphoniques du ou des propriétaires du bâtiment à isoler et, le cas échéant, ceux de son ou de ses représentants légaux ou statutaires ;

2° Un descriptif détaillé de l’ouvrage d’isolation thermique par l’extérieur, accompagné d’un plan des façades et, le cas échéant, des toitures modifiées par le projet, en faisant apparaître l’état initial et l’état futur ;

3° Les justificatifs démontrant qu’aucune autre solution technique ne permet d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique équivalent ou que cette autre solution présente un coût ou une complexité excessifs ;

4° Une proposition relative au montant des indemnités préalables prévues aux I et II de l’article L. 113-5-1 ;

5° Le projet d’acte authentique prévu au I de l’article L. 113-5-1 ;

6° Le projet de la convention prévue au II de l’article L. 113-5-1 ;

7° Une reproduction des dispositions de l’article L. 113-5-1.

Cette notification précise qu’elle constitue le point de départ du délai d’opposition de six mois prévu au III de l’article L. 113-5-1.

Article R113-20

La convention prévue au II de l’article L. 113-5-1 précise notamment :

1° La localisation et le périmètre de l’accès au fonds à surplomber à prévoir pour la réalisation des travaux d’isolation thermique par l’extérieur ainsi que la durée à prévoir de cet accès au fonds ;

2° La nature des installations provisoires à mettre en place pour la réalisation des travaux d’isolation thermique par l’extérieur et les conditions de cette mise en place notamment pour la protection du fonds à surplomber ;

3° L’indemnité due en contrepartie des droits d’accès et d’installation temporaires ;

4° Le cas échéant, les mesures prévisionnelles de remise en état du fonds voisin.

Article R113-21

A défaut d’accord avec le propriétaire du bâtiment à isoler, le propriétaire du fonds à surplomber qui souhaite s’opposer à l’exercice de l’un des droits mentionnés aux I et II de l’article L. 113-5-1 ou demander la fixation par le juge du montant des indemnités prévues au même article, saisit, dans le délai de six mois prévu au III du même article, le président du tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble à surplomber, statuant selon la procédure accélérée au fond.

Article R113-22

Lorsque le fonds à surplomber est un immeuble soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis, le syndicat des copropriétaires peut s’opposer aux droits prévus aux I et II de l’article L. 113-5-1 par décision motivée.

Le syndic inscrit à l’ordre du jour d’une assemblée générale des copropriétaires :

1° La question de la saisine du juge en opposition à l’exercice des droits prévus aux I et II de l’article L. 113-5-1 ;

2° La question de la saisine du juge en fixation des indemnités prévues aux I et II de l’article L. 113-5-1.

Les documents notifiés au syndicat des copropriétaires par le propriétaire du bâtiment à isoler doivent être joints à la convocation de l’assemblée générale.

L’assemblée générale appelée à se prononcer sur ces questions se tient dans un délai qui préserve la faculté du syndicat des copropriétaires de saisir le juge dans le délai de six mois prévu au III de l’article L. 113-5-1.

Article R113-23

Après signature de l’acte authentique mentionné au I de l’article L. 113-5-1 et de la convention mentionnée au II du même article ou sur le fondement d’une décision de justice devenue définitive, le propriétaire du bâtiment à isoler peut réaliser les travaux. Dans tous les cas, les indemnités prévues aux I et II de l’article L. 113-5-1 doivent avoir été préalablement acquittées.

Article R113-24

Le propriétaire du bâtiment à isoler notifie au propriétaire du fonds à surplomber, dès qu’il a fait son choix, les noms, prénoms, adresses postales et électroniques et coordonnées téléphoniques de la ou des personnes appelées à intervenir et, s’il s’agit d’une entreprise, son numéro d’inscription au répertoire des entreprises et de leurs établissements, ainsi que son ou leur numéro de police pour l’assurance mentionnée à l’article L. 241-1 du code des assurances. Il notifie également le numéro de police pour l’assurance mentionnée à l’article L. 242-1 du code des assurances dès qu’il l’a souscrite.

Ces notifications complémentaires sont valablement faites par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et sont sans incidence sur le point de départ du délai d’opposition mentionné à l’article R. 113-19.

[1] Article 172 de la Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[2] Décret n°2022-926 du 23 juin 2022.

[3] Guide sur l’article 1 du Protocole n°1, n°77 et s.

[4] Articles L. 471-1 et suivants du Code de l’urbanisme.

[5] Cass. Civ. 3, 24 mai 2000, n°97-22.255.

[6] Cass. Civ. 3, 27 juin 2001, n°98-15.216.

[7] Cass. Civ. 3, 10 novembre 2016, n°15-19.561.

[8] Cass. Civ. 3, 23 novembre 2017, n°16-20.521.

[9] Maison de la Poésie 1 : Cass. civ. 3, 31 octobre 2012, n°11-16.304 ; Maison de la Poésie 2 : Cass. Civ. 3, 28 janvier 2015, n°14-10.013 et Maison de la Poésie 3 : Cass. civ. 3, 8 septembre 2016, n° 14-26.953.

[10] Cass. civ. 3, 7 juin 2018, n°17-17.240.

 

 

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