Faut-il régulariser une construction irrégulière édifiée préalablement à la demande d’une nouvelle autorisation d’urbanisme

  • Le Conseil d’Etat avait, dans l’arrêt « Thalamy » du 9 juillet 1986, décidé qu’une construction irrégulière devait être régularisée avant de pouvoir autoriser une nouvelle construction, sans limitation dans le temps.
  • L’article L 421-9 du Code de l’urbanisme issu de la loi ENL exempte de régularisation les constructions irrégulières édifiées depuis plus de 10 ans sauf celles édifiées en l’absence de tout permis de construire.
  • Analyse schématique dans les tableaux récapitulatifs ci-après.

Réaliser irrégulièrement une construction n’est pas sans inconvénient. Outre les sanctions pénales encourues pour le constructeur, la démolition éventuelle de celle-ci, l’impossibilité de la raccorder aux réseaux, de souscrire les assurances construction ou encore de la reconstruire à l’identique, s’ajoute tout simplement la difficulté de la régulariser.

Cette régularisation peut être demandée, soit par l’acquéreur préalablement à son acquisition, soit par l’autorité publique amenée à se prononcer sur une nouvelle autorisation d’urbanisme déposée sur le même immeuble.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt de principe du 9 juillet 1986, dit « Thalamy », avait décidé que la construction édifiée sans autorisation d’urbanisme préalable, ou « simplement » non conforme à l’autorisation d’urbanisme ou illégale, devait être régularisée, soit par l’obtention d’une nouvelle autorisation d’urbanisme (voire également en intervenant directement sur la construction procédant à des démolitions ou en réalisant les travaux omis), soit, dans le cadre de nouveaux travaux, par la suppression de l’irrégularité dans la nouvelle autorisation d’urbanisme à déposer.

Les dispositions de l’article L. 111-12 du Code de l’urbanisme devenu L.421-9 du même Code reprennent en substance la jurisprudence « Thalamy » mais exempte de toute régularisation, ce qui est un apport bienvenu, les constructions édifiées depuis plus de dix ans lorsqu’elles ont été édifiées dans le cadre d’une autorisation d’urbanisme préalable.

Nous développerons plus amplement cette jurisprudence en la synthétisant par des tableaux.

1) LA JURISPRUDENCE « THALAMY » (C.E., 09/07/1986)

 

Aux termes de cet arrêt, il est décidé dans un considérant de principe, qu’un maire ne peut « légalement accorder un permis portant uniquement sur un élément de construction nouveau prenant appui sur une partie du bâtiment construite sans autorisation ». Il résulte de de cette jurisprudence qu’en cas de construction(s) illégalement édifiée(s), il faut commencer par réparer l’illégalité de la construction initiale ; cette régularisation implique de reprendre l’ensemble des constructions irrégulièrement édifiées dans une nouvelle demande d’autorisation ; la demande d’un permis modificatif était insuffisante (CAA Marseille, 28 avril 2017, req. n°16MA00203)

Qu’est-ce qu’une construction irrégulière ?

Sont considérées par le Conseil d’Etat (CE. 5 mars 2003, Nicolas Lepoutre, req. n°252.422) comme des constructions irrégulières – définition donnée dans le cas de la reconstruction à l’identique (art. L. 111-3 du Code de l’urbanisme mais qui peut être étendue au cas présent :

  • les constructions édifiées sans autorisation, c’est-à-dire sans qu’une autorisation ait été obtenue ou sur le fondement d’une autorisation ayant précédemment été annulée, retirée ou frappée de caducité ;
  • les constructions initialement régulières mais devenues illégales du fait de l’annulation ou de retrait ultérieur de l’autorisation en exécution de laquelle elles ont été construites. L’exception d’illégalité n’a pas pour effet de la rendre illégale ;
  • et les constructions édifiées en méconnaissance de l’autorisation obtenue à cet effet.

Notons que l’irrégularité ne porte pas forcément sur la construction initiale ; elle peut porter sur les travaux ultérieurs dont elle a fait l’objet. 

Quel doit être l’objet de la régularisation ?

L’arrêt « Thalamy », indiqua que si les travaux ne prenaient pas appui sur la construction irrégulière, aucune régularisation préalable n’était nécessaire.

Toutefois, le Conseil d’Etat dans un arrêt du 13 décembre 2013 « Commune Porspoder » (Req. n°349081) jugea que l’extension d’un bâtiment, même sans prise d’appui, est soumise à la régularisation.

« 2. Considérant que, lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé ; qu’il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation (…/…).;

La pluralité de bâtiments

Le Conseil d’Etat dans un arrêt du 25 avril 2001 (Epoux Ahlborn, req. n° 207095) étendit ce raisonnement en cas de pluralité de bâtiments ; sa position varie selon que les bâtiments sont divisibles ou non.

Dans l’hypothèse où les bâtiments sont divisibles, il n’est pas nécessaire de régulariser l’ensemble des constructions : il faut raisonner bâtiment par bâtiment. Si le bâtiment objet des travaux est concerné par l’irrégularité, il est nécessaire de régulariser ; dans le cas inverse aucune régularisation n’est nécessaire.

En cas d’indivisibilité des bâtiments l’ensemble des constructions doit être régularisé.

2) L’INFLECHISSEMENT DE L’ARRET « CHANTAL GISELE » (03/05/2011)

La jurisprudence « Thalamy » fut atténuée par un arrêt du Conseil d’Etat en date du 3 mai 2011 (Chantal Gisèle, Req. n°32545) qui jugea que « dans l’hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, l’autorité administrative, saisie d’une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble, est tenue d’inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble du bâtiment ; que dans l’hypothèse où l’autorité administrative envisage de refuser le permis sollicité parce que la construction dans son entier ne peut être autorisée au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision, elle a toutefois la faculté, dans l’hypothèse d’une construction ancienne, à l’égard de laquelle aucune action pénale ou civile n’est plus possible, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d’autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes, alors même que son édification ne pourrait plus être régularisée au regard des règles d’urbanisme applicables ».

Pour bénéficier de cet assouplissement, il était nécessaire :

  • Que la construction soit ancienne (sans fixation de délai) ;
  • Que l’action publique ou pénale ne soit plus applicable ;
  • Que les intérêts publics et privés fassent l’objet d’une appréciation par l’autorité administrative ;
  • Que les travaux soient nécessaires à la préservation de la construction et au respect des normes d’urbanisme.

S’il était nécessaire de remplir ces conditions pour réaliser les travaux projetés, il fallait encore que l’autorité administrative veuille, dans son pouvoir souverain, user de cette faculté.

Cet arrêt constituait une brèche à la jurisprudence « Thalamy », mais de faible portée compte du nombre de conditions à remplir, de leur imprécision et de la faculté pour l’autorité administrative de ne pas user de la faculté à lui accordée.

Enfin, la réalisation d’une construction sans permis (dans le cas où celui-ci, bien entendu, était nécessaire à l’époque de la construction) étant imprescriptible (art. L. 111-12 du Code de l’urbanisme), cette jurisprudence lui était inapplicable.

3) LA CONFIRMATION LÉGALE DE L’INFLÉCHISSMENT DE L’ARTICLE L.421-9 DU CODE DE L’URBANISME

Le rapport Pelletier de janvier 2005, rendu dans le cadre de la préparation de la loi dite « ENL » de 2006 (loi n°2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement), dénonçait la jurisprudence « Thalamy » en ces termes :

« il parait anormal que, dans le domaine de l’urbanisme, alors qu’il existe une prescription pénale (trois ans) et une prescription civile (dix ans), il n’existe pas de prescription administrative ( . .). Ainsi, même après l’extinction des actions pénale ou civile, une telle construction ne cesse pas d’être irrégulière au plan administratif, avec l’insécurité juridique que cela emporte en cas de mutation de l’immeuble ou de travaux sur celui-ci, y compris de nombreuses années après l’achèvement de la construction.

« En l’état du droit, l’irrégularité administrative est, contre toute logique, perpétuelle. Il importe donc d’instaurer par une disposition de nature nécessairement législative, le principe d’une prescription administrative au terme de laquelle, passé un certain délai à compter de son achèvement, toute construction sera réputée régulière avec toutes conséquences de droit. »

C’est à la suite de ce rapport que fut adopté l’article L. 111-12 (article 9 de la loi « ENL »), devenu L. 421-9, du Code de l’urbanisme :

« Lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou la décision d’opposition à déclaration préalable ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme. Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables : 

« 1° Lorsque la construction est de nature, par sa situation, à exposer ses usagers ou des tiers à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;
2° Lorsqu’une action en démolition a été engagée dans les conditions prévues par l’article L. 480-13 ;
3° Lorsque la construction est située dans un parc national créé en application des articles L. 331-1 et suivants du code de l’environnement ou dans un site classé en application des articles L. 341-2 et suivants du même code ;
4° Lorsque la construction est située sur le domaine public ;
5° Lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire ;
6° Dans les zones mentionnées au 1° du II de l’article L. 562-1 du code de l’environnement. »

Il résulte des dispositions de l’article L. 421-9 du Code de l’urbanisme que la règle posée par la jurisprudence « Thalamy » se prescrit dans un délai de dix ans ; de sorte que dorénavant, lorsqu’une construction a été illégalement édifiée depuis plus de dix ans, il peut à nouveau être obtenu sur cette dernière, sauf exceptions limitativement énoncées audit article, de nouvelles autorisations d’urbanisme sans qu’il y ait lieu au préalable de régulariser la situation.

Outre des exceptions marginales audit principe et qui tombent sous le sens, figure une exception notable : la construction édifiée sans permis

Dans un arrêt rendu le 10 février 2017 (req. n°373898), le Conseil d’Etat considéra qu’une construction réalisée sans déclaration préalable n’était pas assimilable à une construction réalisée sans permis de construire ; elle soumet celle-ci au régime des constructions réalisées avec un permis de construire irrégulièrement, donc régularisables.

A l’issue de cette histoire, la jurisprudence « Thalamy » ne reste donc applicable qu’aux constructions édifiées :

  • sans permis de construire, et alors aucune prescription ne peut être invoquée par le pétitionnaire ;
  • avec un permis de construire mais irrégulièrement ou sans déclaration préalable, si les constructions sont édifiées depuis moins de 10 ans.
 
12/10/2018 – Michel Thomas

 

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